Pompéi

Des poèmes

tu voulais

leurs regards avides

de vide remplir ma tête

 

inspirer des pluies d’étoiles filantes, envolées d’oiseaux, feux de forêts, tsunamis, éruptions volcaniques et

 

tu étais muette

mais pas sourde

j’aurais donc voulu

apprendre ton langage

des signes

 

avec moi

tu as hérité de fausses catastrophes

qui font mal comme un accident de char

de pluies de lucioles filantes

et de voeux gaspillés

d’oiseaux qui volent en V

pour écrire i love you

dans un ciel quelconque

le matin avant de partir

 

à cause de moi

tu es partie dans l’Ouest

et l’été a incendié

ce qu’il reste de toi

j’ai bu tes tempêtes

dans un verre d’eau

sans que tu saches

tu es belle

à en faire rougir

Pompéi

J’aurais dont jamais dû donner mon corps, barrer la porte et puis fermer les stores

Des histoires

Ça fait deux heures que je regarde le ventilateur du plafond tourner et la tête aussi. J’ai mal au coeur en me rappelant de la soirée d’hier. Le black-out tellement noir, qu’on dirait que la lumière est fermée ou les yeux bandés. Je ne sais plus où commencent les corps ni où ils finissent. Le lendemain n’en finit plus de ne pas finir. Je ne me rappelle plus quelle bouche ni quel sexe. Quand je revois la scène, je suis comme une spectatrice au Cinéma l’Amour, mais c’est seulement à cause du miroir le long du mur de la chambre.

Les images me reviennent en séquences. Je veux trouver un sens. La chronologie de ma débauche. Mais je ne sais plus. Je me souviens du karaoké, mais je ne sais plus combien de pichet-quatre-shooters pour vingt piasses. Je me souviens du garçon qui voulait me ramener chez lui dans Ahuntsic, mais je ne me souviens pas de son nom. Je me souviens d’avoir pleuré ce soir-là, mais je ne sais plus pourquoi. Je ne sais plus pourquoi, sauf que ce n’était pas une peine de fille trop saoule dans les toilettes d’un bar.

J’ai joué à ni oui ni non toute la soirée, incapable dire des phrases complètes avec un sujet, un verbe et un complément. Hier soir, je suis redevenue une petite fille. Une petite fille dans un corps de femme. Matriochkas à l’envers.

Ce matin, j’ai trop conscience de mon corps. Mon corps ne m’appartient plus. C’est le corps d’une autre. Il existe trop pour les autres. Je voudrais me défaire lentement, couler ou me fondre. Je voudrais me défaire de mon corps. Dans la douche, j’ai frotté ma peau jusqu’au sang. Peau neuve, propre de mes lendemains.

J’ai pensé à toi quand je me suis réveillée dans le lit d’un autre, une fille allongée contre moi. J’ai pensé à toi quand je ne me rappelais de rien sauf de la noirceur qui avale tout ce qui tient encore debout à trois heures du matin, après la Four Loko avalée à grandes gorgés. J’ai pensé à toi quand tu parlais de la noirceur, des fois où tu disais danser avec elle, et je ne comprenais pas.

J’étais jalouse de la noirceur, parce que tu dansais en la tenant contre ton bassin et que tu la ramenais dans ton lit, jalouse parce que tu la gardais avec toi, près du coeur, là où ça compte, pendant toute la nuit, toutes les nuits tu dormais en cuiller avec elle et tu n’es jamais resté la nuit avec moi.

Depuis dimanche matin, j’ai honte chaque fois que je me croise dans le miroir. Je rougis ou je baisse les yeux parce que je n’arrive pas à me regarder en face. À faire face. Quand je marche dans la rue, j’ai l’impression que tous les passants étaient là samedi soir et qu’ils savent mieux que moi ce qui s’est passé dans cet appartement rue St-Hubert. Comme s’ils voyaient au travers de mes vêtements les traces de mon indécence.

Une amie m’a déjà dit que dans mes textes, j’ai l’air d’avoir couché avec Montréal en entier. On était assises sur son toit en train de boire de la bière froide et il faisait encore l’été dehors. J’avais ri dans le bleu. Je ris encore, mais jaune. Depuis dimanche, je ne sais plus si c’est drôle ou si c’est triste. Si je m’invente par l’écriture ou me mets en scène en elle.

Toutes les histoires ont déjà été écrites. Toutes les histoires de baises ont déjà été écrites. Been there, done that. Moi, je dis qu’on ne peut pas écrire ces histoires-là après Nelly Arcan. Ce n’est pas barbare. C’est masochiste. De toute façon, mes histoires sont toutes pareilles. Pareilles, mais différentes. Il fallait être là.

Je repense souvent à toutes ces fois où j’aurais dû rester à la maison. Ces fois où j’aurais voulu porter du linge mou ou du linge tout court, regarder Netflix toute seule et me réveiller avec un huit heures de sommeil réparateur.

Mais je coucherai avec mes lendemains et me réveillerai encore seule.

 

©Jon Rafman, You Are Standing in an Open Field (Waterfall), 2015

Trahison et tromperie

Des anecdotes

Le jour où j’ai décidé de l’abandonner, je me suis sentie comme une traître. Pourtant, je l’ai aimée et n’ai aimé qu’elle. Comme si c’était par manque d’amour pour elle que je la quittais. Mais je la quittais parce que je n’étais plus capable de l’aimer correctement.

En amour comme quand je lis, j’ai toujours aimé prendre mon temps.

J’aime ouvrir un livre, le feuilleter, le lire un peu jusqu’à ce qu’une phrase m’accroche, puis le refermer et penser à cette phrase pendant quelques temps. Écrire un peu, si la phrase m’inspire. Mais prendre le temps de peser chaque mot.

Je reste accrochée à des détails. Comme ton accent, ton rire ou la face que tu faisais quand tu venais. Mais j’en suis venue à tout haïr de toi. De l’amour à la haine.

Avec elle, j’ai eu une relation amour-haine dès nos débuts.

Mais depuis quelques temps, je l’haïs tout court. Je ne peux pas passer plus de deux minutes avec elle sans avoir envie de claquer la porte. Elle m’énerve. Ce que j’ai aimé d’elle, au départ, je le déteste aujourd’hui. Je ressentais une connexion par-delà les mots avec elle. Quelque chose de physique, de concret.

Depuis quelques temps, elle se prend pour une autre. J’ai appris à connaître une part d’elle que j’ignorais. De cette connaissance nouvelle, c’est comme si un pan entier de sa personne s’effondrait. Ce que j’aimais, chez elle n’est plus ou ne peut plus être dans ces conditions, du moins.

N’ayant eu de regard que pour elle, où qu’elle ait été et où que j’aie pu être, dans l’absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes, dans le silence et dans la nuit, je la quitte pour mieux lui revenir; pour lui revenir autrement.

À elle, je dis éternellement : “Viens”, et éternellement elle est là. Je l’ai trompée et elle me pardonne sans arrêt, résiliante comme elle est, mais j’ai l’impression de la trahir un peu plus chaque fois que je vais voir ailleurs.

Je ne veux pas théoriser mon amour pour toi. Je suis une praticienne, pas une théoricienne. Je veux t’écrire des lettres d’amour que je t’envoie par la poste au lieu de chercher à connaître la formule derrière tes paroles. Pour t’aimer, je dois exister en dehors de toi.

Aujourd’hui, je porte du noir, comme si j’allais flasher mon linge de funerals. Adieu, les études littéraires. Mais ce n’est qu’un au revoir, la littérature.

 

© Egon Schiele

Chronique dermatologique : l’éruption

Des anecdotes

C’est l’hiver dans ma tête et le printemps sur mon corps, jusqu’à ce qu’il fasse moins quarante encore. Montréal est bipolaire. Sur ma peau, des fleurs poussent et se décomposent. L’ambivalence météorologique me craque. C’est quand il fait froid que je suis consciente des plaques qui se logent sous ma peau. Qu’une main ne pourra jamais parcourir mon corps sans y trouver de reliefs.

J’ai rêvé hier soir que j’avais la peau lisse comme les fesses d’un nouveau-né, alors que je me suis endormie en pleurant de douleur à cause de mon psoriasis. Je me suis réveillée la tête dans un océan de poussières de peaux mortes sur ma taie d’oreiller.

J’aurais voulu naître dans une autre peau.

Au primaire, les autres enfants disaient qu’ils allaient attraper ma maladie s’ils me touchaient. Je me souviens du regard des filles de ma classe qui me scrutait de haut en bas. Au secondaire, je portais des vêtements longs et je fuyais toute forme d’intimité. J’ai peur de me mettre à nue depuis toujours.

Je passe encore mes hivers enfouie sous des couches de vêtements et cachée dans des cols roulés. Je garde mes cheveux longs, je mets des tuques et je coupe mon toupet au carré. J’évite de fréquenter quelqu’un, de peur d’enlever mon chandail. J’ai même raté des cours tellement j’avais peur du regard des autres sur ma nuque.

Quand il fait gris et froid, ma peau veut fendre et je veux fendre en deux. En chien de fusil dans mon lit, j’arrête de bouger pour ne plus avoir mal. Je flatte mes plaques d’une main et j’essaie de m’endormir. Je repense à toutes les fois où tu imaginais des formes sur mon corps, comme on le fait avec les nuages.

Je voulais que tu traces une constellation dans mon dos pour relier ensemble toutes mes rougeurs. Que tu les encercles comme pour dire tu es là et je t’aime quand même. Je voulais que, du bout des doigts, tu me soignes de moi, de ma haine de moi. Je voulais que tu m’aimes assez pour nous deux.

De ton corps, j’ai fait une obsession. J’ai passé ma main partout sur toi, j’ai touché ta soie, ton soi. J’ai rêvé de me couvrir de toute ta peau. Je t’ai porté en cuiller pour faire semblant d’être douce et sans failles.

J’ai apprivoisé la nudité dans ton lit pour m’épidermer dans tes bras, puis me rhabiller de toi.

Couchée avec toi après l’amour, mon premier réflexe est de couvrir ma peau d’un drap. Tu dis de ne pas me cacher, que tu aimes me regarder. Je me demande comment ça peut être vrai, parce que je déteste me regarder toute-nue. J’évite le miroir de la salle de bain quand je sors de la douche.

Nous sommes sur l’eau en bateau. Je porte un chandail que j’enlève juste au moment de sauter dans le bleu du lac. Quand je sors, tremblante, c’est parce que l’eau est froide, et aussi, parce que j’ai peur du regard de ton ami sur moi. Je m’abrille d’une serviette. Quand le soleil mord ma peau, je la laisse tomber par accident.

Lorsque tu es parti à la fin de l’été, j’ai porté les marques du désamour dans mon cou comme un collier. Je ne l’aurais pas échangé pour un autre, ce collier. Il était la preuve de notre brève existence, qu’on avait été vrais, même si tu disais que ce n’était pas vraiment ça, de l’amour, que tu ne m’avais jamais vraiment aimée, au fond.

Chaque soir, je mets de l’huile de coco partout sur moi pour faire semblant que c’est l’été encore.

 

© Mirela 23, Cesar Biojo, 2014

Ô Jarry

Des histoires

(Juillet)

Faudrait que tu viennes voir mon appart, maintenant qu’on est voisins, qu’il te dit avec un clin d’oeil. Par texto, parce que qui fait des clins d’oeil au quotidien?

Tu réponds pas.

*

On peut se voir ce soir, qu’il demande. Tu peux presque sentir son haleine de bière à travers l’écran et ça te donne envie de vomir. Je m’en allais me coucher, mais on s’écrit demain, que tu réponds, quand tu seras ajun et que le soleil sera là pour thirdwheel notre rencontre, que tu penses.

Tu te mets en pyjama, attaches tes cheveux collés à ta nuque à cause de ta sueur, et te brosses les dents.

Ça va pas, ma blonde vient me laisser.

Tu réponds pas.

Je peux venir chez toi? J’ai vraiment besoin de parler.

Tu réponds : Ok, le temps d’une clope.

Sans savoir que le temps d’une clope est éternel.

Sans savoir que ce gars-là est un ninja pis qu’il va trouver un moyen de se rendre dans ton appart, dans ta chambre, dans ton lit, dans tes draps… dans toi.

Sans savoir qu’il va t’enlever les mots de la bouche en te crissant sa langue dans le fond de la gorge, que tu seras pas capable de dire non ou de dire rien, dans le fond.

Sans savoir que tu vas dormir avec une couverture qui te fond sur le corps après, parce que même ses yeux sur toi toute-nue, ce sera trop. Sans savoir qu’il va rester pour la nuit, parce que t’es one night long et qu’il veut laisser son empreinte sur ton oreiller.

*

Tu voudrais crier tellement fort, que ta voix à elle seule le propulserait en dehors de ton appartement. Il se retrouverait tout-nu sur Villeray, sous le spotlight des lampadaires. La vitre par terre brillerait comme des paillettes. Ce serait le plus beau spectacle du monde.

Mais tu dis rien.

Le lendemain tu te laves de lui et la vie continue comme s’il n’avait jamais mis les pieds dans ta petite chambre de Villeray et ses mains dans toi.

Comme si tu n’avais pas été violée.

 

(Octobre)

Il fait froid dehors comme en dedans. Il vient de te laisser sur un banc du parc Jarry pis tu sais pu où regarder. Tu fixes l’étang comme si la réponse que tu cherches se trouvait au fond de l’eau. La réponse à je ne suis pas en amour avec toi n’existe pas. On ne peut rien dire au désamour. On peut juste le prendre pis lui dire que ça va aller, qu’un jour il va y avoir quelqu’un pour nous aimer plus que trois secondes, parce que les gens mangent quand même leur bouffe si elle tombe par terre (pas plus que cinq secondes, par exemple) et que quelqu’un va te ramasser de sur le plancher.

Mais le temps est gris, la tête est noire pis le coeur se noie dans son blues. Ton lit devient un radeau de sauvetage dans une marée de kleenex plein de peine.

Tu as appelé tous les numéros dans ton cell.

*

Ce n’est pas l’amour qui vient cogner à la porte de ton appart dans Villeray. L’amour est reparti avec ses bagages en claquant la porte du bloc et ne reviendra jamais. Dans quelques mois, l’amour sauvage va te unfriend de sur facebook, sans raison. L’amour s’en criss. L’amour a move on aussi vite qu’on arrache un plaster.

Mais tu as les bras de ton humain préféré pour te serrer pendant que tu pleures-morves-inspires en soubresaut. Des bras qui te tiennent, qui te retiennent. Des bras qui t’empêchent de casser en deux.

*

Le lendemain, tu te réveilles en cuiller avec personne, pour déjeuner avec ton boy’s club préféré : Ben, Jerry et Nicolas, le gentleman bohème. Tu fixes le plafond en écoutant des tounes tristes. Tu voudrais qu’il te tombe sur la tête, après que le ciel te soit tombé dessus.

Mais le ciel est encore bleu et le soleil t’aveugle : la violence de l’étreinte t’enserre doucement.

Tu ne t’approches pas du boulevard Saint-Laurent. Le parc Jarry n’existe plus.

 

(Janvier)

Tu marches toute seule quand tu arrives face-à-face avec quelqu’un que t’as pas vu depuis longtemps. Chaque fois que tu fantasmes cette rencontre, c’est ton ex que tu croises dans les rues de Montréal. Le fantasme, c’est de l’obliger à te voir, à t’entendre.

Moi, je suis méchante : ça veut dire que j’ai besoin de la souffrance des autres pour exister. J’ai besoin de le voir avoir de la peine à cause de moi. Comme une torche dans les coeurs, je veux le voir triste. Triste de me voir triste ou triste de me voir heureuse. Quand je suis toute seule, je m’éteins.

Mais ce n’est pas ton ex qui est devant toi. C’est Jarry, qui scintille sous sa couverture blanche.

Tu restes plantée là une vingtaine de minutes : tu ne veux ni entrer dans le parc, ni rebrousser chemin, ni rentrer chez toi. Tu le regardes longtemps, pour essayer de le comprendre. Tu le trouves beau, mais il te laisse un petit arrière-goût de peine dans le fond de la bouche qui est juste assez désagréable pour le rendre presque laid.

Tu repars, parce que tu es une lâche. (Est-ce que c’est possible qu’on soit lâche quand on a choisi les chemins les plus dangeureux?)

*

Le soir, tu regardes les photos de ton ex que tu gardes sur instagram en souvenir. Son sourire a l’air de te narguer maintenant. Les contours de son visage que tu ne peux plus tracer à travers l’écran tactile te rendent nostalgique.

Mais comme Jarry, tu le trouves presque laid.

*

Tu passes à travers le parc, pleine d’animosité. Tu es nerveuse, comme si tu n’avais pas le droit d’y exister. Ton quota d’existence au parc Jarry, tu l’as atteint. Ce serait comme aller à une première date au même endroit, mais avec quelqu’un d’autre.

C’est pour ça que tu ne remettras pas une autre partie de ton corps que les pieds dans le parc Jarry.

 

(Avril)

Depuis juillet, tu fais le long détour pour rentrer à la maison. Juste pour être certaine de ne pas le croiser. Tu préfères les autobus que le métro, si ça veut dire que tu n’auras pas à entendre son nom ou à voir son visage.

Un soir, il te ramène chez lui. Vous descendez à la station Jarry et tu es prise d’un vertige en montant les escaliers interminables. Tu n’as jamais été une excellente coureuse, mais Jarry t’a rattrapée sans que tu te rendes compte qu’il te poursuivait.

Tu fais l’amour avec ce gars-là, qui te fait rire et qui parle avec un bel accent.

*

Le lendemain, vous voulez vous revoir, déjà. Il t’invite à pique-niquer au parc Jarry, mais il pleut. Vous vous faites un pique-nique au beau milieu de son salon et vous passez l’après-midi entrelacés, à goûter vos corps.

À vous découvrir, loin du regard de Jarry.

*

Couchés sur une couverture dans le parc, c’est l’été, ou on joue à faire-semblant que ce l’est. Il y a des enfants qui s’amusent à courir, et vous deux, sur votre couverture, à vous aimer comme des enfants.

Les écureuils se promènent encore dans le parc et tu n’as plus peur.

C’est la première fois qu’adieu est aussi doux.

SAD girl

Des histoires

La première fois où j’ai eu un E dans un travail universitaire, j’ai fixé ma copie un temps trop longtemps. E pour échec. J’avais l’impression que la lettre me collait, qu’à elle seule, elle m’avalait. Comme si on avait brodé la lettre E à mon chest, parce que j’avais fait quelque chose de mal. L’échec, c’était moi.

À six ans seulement, mes notes étaient déjà pour moi le reflet de ma valeur, un gage de réussite et d’émancipation pour la petite fille d’un camionneur et d’une coiffeuse de la South Shore que j’étais.

J’avais remis le travail en retard, parce que je n’arrivais pas à aligner les mots. Je n’arrivais pas à m’aligner tout court. Mais je ne voulais pas avoir d’autres E pour échec.

La veille, j’avais été diagnostiquée avec une dépression saisonnière. Google me traduisait que j’étais SAD. Je n’étais pas triste en caps lock : j’avais un seasonal affective disorder. Chaque fois qu’il neige, le blanc dehors reflète le noir en-dedans et je vois la vie en gris.

J’ai mis un certain temps à comprendre que c’était ça. Ça, it, la chose qu’on ne veut pas nommer, la dépression. J’avais déjà fait une dépression à l’âge de seize ans et je ne voulais pas voir que c’était ça, it, la chose, encore, qu’elle m’avait rattrapée, la chienne, après toutes ces années à m’enfuir d’elle. Entre chien et loup, je n’arrivais pas à la reconnaître.

Je ne voulais pas la voir. Surtout parce que je l’avais vu prendre le dessus sur mon père tellement de fois et qu’elle m’avait pris ma tante. Je me rappelle de leurs corps, de leurs cadavres, couchés en tête à tête, chacun sur un divan du salon.

Elle me faisait peur. À vingt ans, j’avais peur du noir.

Pour moi, l’hiver était synonyme de froid, de joues rosies et d’attente. Attendre que l’autobus passe chaque matin. Attendre que quelqu’un, n’importe qui, se glisse sous mes draps, pour rougir nos joues ensemble. Un synonyme de froid et de solitude.

J’attendais surtout que les premiers rayons du printemps happe mon corps dans le plus bel accident de la route. L’absence de soleil me mine chaque fois. Comme si la lumière était éteinte. J’ai envie de dormir tout le temps. J’ai envie de ne rien faire. J’ai envie de rien.

Chaque matin, j’avale mes vitamines d’un coup. Le mouvement redondant des pilules dans ma main, que je mène à ma bouche, qui descendent dans ma gorge avec une grande gorgée d’eau. On aimerait avoir aussi soif qu’il y a d’eau dans le fleuve. Mais on boit un verre d’eau et on n’a plus soif. On ne peut pas boire mille verres d’eau et avoir encore soif. On ne peut pas boire mille verres d’eau sans avoir envie de pisser.

Faque je me prends un jus d’oranges, des fois, pour changer le mal de place. La fin de semaine, je presse mes oranges moi-même. J’aime que l’odeur reste sur mes doigts, même après. Mes doigts qui sentent la pelure d’oranges jusqu’à ce que je les lave, jusqu’à ce que je me lave. Après la douche, je me couvre d’huile de coco. La coconut aussi est une odeur qui me berce.

Entre les vitamines B, C, D, mon E et le SAD que j’apprivoise lentement, j’en perds mon alphabet.

J’ai compris que je dois arrêter de l’euphémiser, la prendre au sérieux, lui donner un nom pour lui donner un visage. Par personnification, elle devient tangible, palpable et concrète. Une chose, pour ainsi dire, que je peux prendre, sur laquelle je peux reprendre le contrôle.

S’il te plait, rallume la lumière.